Déjà six mois d'isolement pour l'équipage de la NASA : Témoignage exclusif de Cyprien Verseux

la mission HI-SEAS IV entre en phase critique

Publié le 22 mars 2016

Mars est au centre de toutes les attentions, avec notamment le décollage de la mission ExoMars, lundi 14 mars 2016 depuis le Cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan. Mars qui est l'objet de la mission HI-SEAS IV d'un an financée par la NASA où six scientifiques et ingénieurs testent les conditions de vie. Isolés depuis le 28 août 2015 les équipiers, dont l'astrobiologiste Cyprien Verseux (diplômé de Sup'Biotech promo 2013), vivent dans un dôme sur un volcan hawaiien. Six mois qu'ils n'ont pas été exposés à l'air libre, qu'ils se nourrissent d'aliments déshydratés et qu'ils n'ont vu ou parlé à personne en-dehors de leurs équipiers. Cyprien Verseux, l'unique Français, livre un témoignage sans tabou sur son ressenti et l'aspect humain d'une telle mission.


Témoignage exclusif de Cyprien Verseux

La période la plus critique de la mission commence : dans les bases confinées et isolées, la santé mentale, les relations et les performances ont tendance à se dégrader brutalement juste après le milieu de la mission. Les symptômes possibles de ce phénomène, appelé « syndrome du troisième quart », incluent l'instabilité et l'hypersensibilité émotionnelles, l'irritabilité, la perte de motivation, la dépression et l'apathie. Les cas les plus extrêmes ont été rapportés par des explorateurs polaires pour qui les habitudes de leurs équipiers, de leur façon de parler à leur façon de mastiquer, sont soudainement devenues insupportables.

Les tensions entre les membres de l'équipe sont devenues plus fréquentes et plus intenses mais nous restons une équipe soudée. Cela dit, il est jusque-là difficile de juger des difficultés psychologiques des autres parce que mes coéquipiers ne sont pas du genre à se plaindre ou à se laisser abattre. S'ils souffrent, ils le cachent. Je suis cependant sûr que l'équipage parviendra à surmonter cette période sans dégâts majeurs, grâce aux traits de personnalité pour lesquels nous avons été sélectionnés et à notre objectif commun : mettre Mars à la portée de l'Homme. Pour décompresser, nous avons différentes techniques ; pour moi, c'est le sport (tapis de course, vélo stationnaire, musculation) et la musique. J'apprends l'ukulélé et l'une de mes coéquipières l'harmonica, des instruments dont la petite taille est idéale pour une mission spatiale.

Au-delà de ces tensions, la plupart des participants créent des liens extrêmement forts : lorsque vous vivez en permanence avec vos équipiers et que vous ne voyez personne d'autre, il y a de grandes chances pour que vous deveniez très proche.

On nous demande souvent ce qui nous manque le plus dans le dôme. Pour la plupart d'entre nous, ce sont nos proches avant tout : depuis six mois, nous ne leur parlons qu'à travers des emails retardés de 20 minutes dans les deux sens. D'ailleurs, la simple perspective d'entendre la voix de quelqu'un en-dehors du dôme, en temps réel, devient excitante. Ensuite, c'est l'air libre : on rêve tous de sentir le vent, le soleil ou les odeurs de la nature. Nous avons accès à des technologies de réalité virtuelle qui nous font voyager dans des décors naturels, mais dès qu'on enlève le casque la réalité nous rattrape : on se souvient que nous ne sommes pas dans la forêt mais dans une pièce de 4 mètres carrés, que la chaleur ne provient pas du soleil mais d'une lampe et que la brise sort d'un ventilateur.

Les questions pour lesquelles la mission a été mise au point devraient bientôt trouver des réponses : est-ce que des équipiers peuvent rester compétents et sains d'esprit dans des conditions d'isolement et de confinement telles que celles d'une future mission sur Mars, même dans la période la plus difficile ?

Cyprien Verseux et ses coéquipiers termineront leur mission le 28 août 2016 et s'accorderont un moment de détente avec leurs proches avant de repartir pour de nouvelles aventures scientifiques et humaines.