Les thérapies virtuelles, une chance nouvelle dans le traitement de l'alcoolodépendance

Pascale Piolino a présenté les développements en cours des thérapies virtuelles et leurs résultats, notamment dans des pathologies comme la maladie d'Alzheimer ou le stress post-traumatique

Publié le 22 novembre 2016

A l'occasion du second « Café des Chercheurs » organisé par la Fondation pour la recherche en alcoologie, les scientifiques Pascale Piolino et Paul Maurage ont dressé un état des lieux de l'utilisation des thérapies virtuelles en France et leur intérêt dans le traitement des personnes en difficulté avec l'alcool. Pascale Piolino a présenté les développements en cours des thérapies virtuelles et leurs résultats, notamment dans des pathologies comme la maladie d'Alzheimer ou le stress post-traumatique. Pierre Maurage a souligné l'importance de l'arrivée des thérapies virtuelles pour le traitement de l'alcoolodépendance qui se confronte au problème de l'important « treatment gap », c'est-à-dire qu'un tout petit nombre de malades en difficulté avec l'alcool est effectivement pris en charge.
A l'invitation de Philip Gorwood, président du comité scientifique de la Fondation pour la recherche en alcoologie, les professeurs Pascale Piolino* et Pierre Maurage** ont présenté un panorama des thérapies virtuelles et de leur utilisation dans le champ des addictions.

Pascale Piolino fait le point sur l'utilisation de la réalité virtuelle en France. Elle souligne que le principal avantage de la réalité virtuelle est qu'elle permet aux patients d'être immergés et d'interagir dans des environnements spécifiques. Le développement d'outils de réalité virtuelle à des coûts abordables (casques) va en outre permettre de faciliter leur utilisation et se rapprocher des aspects cliniques que l'on veut prendre en charge. Certains équipements permettent déjà de renvoyer des feed back en temps réel, comme les lunettes qui s'obscurcissent en fonction de l'attention du patient. La réalité virtuelle est déjà utilisée aujourd'hui en France pour la formation des médecins, notamment dans le cas de gestes complexes. En évaluation et rééducation, les fonctions testées sont par exemple l'attention, l'exécution de tâches ou la mémoire. Des applications en neuropsychologie sont actuellement à l'étude sur la mémoire épisodique, affectée dans des pathologies comme la schizophrénie, l'Alzheimer, les traumatisés crâniens, etc. Des environnements sont également utilisés avec de bons résultats chez les enfants atteints de kystes cérébraux ainsi que chez les personnes âgées atteintes de maladie dAlzheimer. Les cyberthérapies commencent à être utilisées dans des phobies (puisqu'on peutr mimer avec beaucoup de vraisemblance les situations phobogènes) et se développent notamment dans le traitement du stress post-traumatique. Dans les addictions à l'alcool, des logiciels sont développés pour la conduite (simulation d'ébriété) et pour les contextes sociaux de consommation (au bar).

Pierre Maurage rappelle tout l'intérêt d'utiliser la réalité virtuelle dans l'alcoolodépendance. Il souligne l'importance de nouveaux outils dans la prise en charge de l'alcoolodépendance qui reste très difficile à traiter aujourd'hui (60 à 80 % de rechute après quelques mois), en partie du fait de sa valorisation sociale et de la stigmatisation du malade alcoolique. Ce qui conduit à un « treatment gap » important puisqu'on estime que 7 % seulement des malades alcoolodépendants sont traités. L'utilisation de thérapies virtuelles apporte non seulement un outil thérapeutique nouveau mais aussi la possibilité d'avoir accès à des malades « en ligne » uniquement, donc en facilitant leur acceptation de la prise en charge. Elles vont pouvoir agir sur l' d'impulsivité, en le diminuant, et le système d'inhibition, en le stimulant. On peut par exemple agir sur les biais attentionnels, c'est-à-dire face à deux images de boisson, alcoolisée ou non, augmenter l'intérêt de se fixer sur la boisson non alcoolisée, ce qui n'est pas naturel et va permettre d'augmenter l'inhibition et le contrôle (attention moins portée sur ce qui a rapport à l'alcool) et de réduire l'impulsivité (ne pas immédiatement et automatiquement aller vers ce qui attirre). La littérature montre que les résultats de la réalité virtuelle sont significatifs et complémentaire de la prise en charge classique. De manière générale, les qualités de la réalité virtuelle (contrôle total sur l'environnement, créativité et flexibilité, aspect ludique et motivant, transfert dans les situations réelles...) sont particulièrement adaptées à l'addiction et l'alcoolodépendance.

* Pascale Piolino est membre Senior de l'Institut Universitaire de France (IUF), directrice du Laboratoire Mémoire & Cognition (LMC - INSERM) au Centre de Psychiatrie et Neurosciences, professeur à l'Institut de Psychologie (Université Paris Descartes).
** Pierre Maurage est chercheur au FNRS (Fonds National de la Recherche Scientifique, Belgique), professeur à l'UCL (Université Catholique de Louvain, Belgique), spécialiste de la neuropsychologie des addictions
***Philip Gorwood est directeur de l'unité sur la vulnérabilité génétique dans les addictions au Centre de Psychiatrie et Neurosciences (INSERM U894) de l'hôpital Sainte Anne à Paris et chef de service de la Clinique des Maladies Mentales et de l'Encéphale. Il est également addictologue, professeur d'addictologie et président du comité scientifique de la Fondation pour la recherche en alcoologie.
**** Véronique Nahoum Grappe est anthropologue, chercheur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et membre de l'Institut d'Anthropologie Contemporain (IAC).